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Crédit photo : Erin McKinney

Natalia Duarte Jeremías

Altiste Baroque

 G.A. Chaves 

Traduction: A. Barbet

Entretien réalisé en Février 2021

Publié en Mai 2021

Vivant actuellement à l’extérieur de Venise, en Italie, l’altiste costaricienne Natalia Duarte Jeremías incarne l’excellence de la musique baroque et sa portée sociale pour notre époque. Outre une formation en anthropologie et des incursions dans le domaine de l’urbanisme, ce sont ses propres expériences internationales qui ont façonné sa vision artistique.

 

« Je viens d’une famille de musiciens. Depuis toute petite et jusqu’à la fin du lycée, j’ai joué du violon alto. J’ai même étudié l’alto durant une année à l’Université du Costa Rica. Mais à l’époque, il fallait que je vive ma propre expérience. Les questions sociales étaient très importantes pour moi : je me suis donc spécialisée en anthropologie. J’ai ensuite continué mes études aux États-Unis. Là-bas, j’y ai rejoint un orchestre universitaire et j’ai pris conscience que c’était ce que je voulais vraiment faire. Après plusieurs années sans jouer, il a été très difficile pour moi de me remettre à niveau ! »

 

Est-on à la croisée des aspirations entre ces deux domaines ?

 

« Oui. L’anthropologie m’a donné un cadre pour comprendre le monde, y compris cette partie du monde représentée par la musique. À l’Université de l’Arizona, j’ai suivi des cours d’ethnomusicologie, un domaine d’études qui rejoint parfaitement l’anthropologie et la musique. Plus récemment, j’ai collaboré avec un ami architecte et urbaniste pour une organisation appelée Urbanalytica. Ces membres développent notamment des stratégies grâce auxquelles la musique peut aider à la naissance de villes créatives et durables. Elle devient alors un élément d’intégration communautaire. La musique est un domaine tellement spécialisé, les musiciens sont tellement éloignés du monde qui les entoure à cause de leurs longues heures de pratique, que cela représente pour moi un excellent moyen de sortir de cette bulle tout en redonnant à la communauté, quelque chose d’autre que la musique, à proprement parlé. »

 

Alors, comment êtes-vous passé de ces enjeux actuels à des performances historiques ?

 

« J’ai toujours aimé la musique baroque. C’est un lien émotionnel. Durant mon enfance au Costa Rica, j’ai écouté de nombreux disques, de nombreuses interprétations, tout en pensant que c’était un peu inaccessible…Là où j’étais aux États-Unis, la musique ancienne était aussi peu présente. Elle continuait donc à être loin de ma réalité immédiate. Par la suite, j’ai déménagé à Barcelone pour étudier l’alto moderne à l’école supérieure de musique de Catalogne (ESMUC), et là, un univers s’est présenté devant moi. Ils disposaient d’un département d’études dédié à la musique historique. J’y ai d’abord suivi les cours théoriques puis j’ai exprimé mon souhait de participer aux classes des grands maîtres. Les formations ont toujours besoin d’altistes, j’ai donc pu jouer et apprécier chaque moment tout en me faisant des amis. »

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Pourquoi l’alto, plus qu’un autre instrument ?

 

« Quand j’avais environ dix ans, j’ai entendu un altiste du Costa Rica jouer en concert une œuvre de G. P. Telemann et je suis tombée amoureuse de cette sonorité. J’ai donc décidé de passer du violon à l’alto. J’avais de petites mains, alors ils ont mis des cordes d’alto sur mon violon et c’est comme ça que j’ai commencé. L’alto correspondait aussi à ma personnalité. L’alto est un trait d’union entre les autres instruments, ce n’est pas un protagoniste. C’est ainsi que je ressens ma personnalité. De plus, l’alto a toujours été le vilain petit canard des instruments à cordes, car ses fréquences moyennes étaient pour certains moins intéressantes que le son brillant du violon. Son registre sonore ne correspond pas tout à fait à sa taille réelle. C’est une singularité à laquelle je me suis beaucoup attachée. »

 

Au début, a-t-il été difficile de passer de l’alto moderne à l’alto baroque ?

 

« Au début, j’ai décidé d’arrêter complètement de jouer de l’alto moderne à cause des différences techniques. J'étais déterminée à jouer de l’alto exclusivement avec de cordes en boyau. Néanmoins, ces derniers temps, je me suis réconciliée avec le style moderne. Au début, j’ai vécu une crise d’identité quant à ma propre sonorité. Je ne me suis pas reconnue dans mon interprétation de l’alto moderne, mais j’ai maintenant le sentiment d’avoir réussi à intégrer les deux styles. »

Crédit photo : Erin McKinney

Que se passe-t-il avec vos projets comme l’Altus Ensemble ?

 

« Altus est un projet que j’ai mis en place avec l’Espagnole Nuria Pújolrás. Nous vivons depuis un certain temps maintenant dans différents pays. Il a donc été difficile de poursuivre ce projet. Aujourd’hui, la Covid19 nous a offert une pause pour reconsidérer les choses, et nous sommes en train de sélectionner un nouveau répertoire. Nous recherchons des musiques spécifiques qui rejoignent nos intérêts avant même de penser à jouer. Tous mes autres projets en sont d’ailleurs à ce stade: c’est principalement de la planification en attendant d’y voir plus clair avec la pandémie ».

 

Comment s’est passée votre expérience de jeu avec le chef d’orchestre et violoniste italien Enrico Onofri ?

 

« Je connaissais Enrico Onofri à travers ses enregistrements, mais quand je l’ai entendu jouer et répéter sur scène, cela m’a donné envie de pleurer. J’ai été très impressionné. Plus que tout, lorsque vous jouez avec des gens comme lui, vous êtes exposés à une sorte d’énergie contagieuse qui vous incite à mieux jouer. C’est une sensation formidable. Pendant les répétitions, il explique sa perception, sa compréhension de la musique interprétée. C’est une expérience très enrichissante. »

 

Vous souvenez-vous d’un évènement précis qui a réellement changé votre façon de jouer ?

 

« La première chose qui me vient à l’esprit, c’est en 2019, lorsque je travaillais avec le chef d’orchestre belge Philippe Herreweghe grâce à une bourse obtenue du Britten-Pears Young Artist Program (BPYAP), en Angleterre. C’est aussi un de mes héros; j’ai grandi en écoutant ses disques. Mais il m’a vraiment impressionné en expliquant que les musiciens modernes semblent être obsédés par “jouer la ligne”, formuler les notes, parfois au détriment de l’articulation, tandis que les musiciens baroques semblent obsédés par l’articulation au détriment de la ligne. Herreweghe a insisté sur le fait que vous deviez faire les deux. Plus facile à dire qu’à faire, bien sûr, mais cela m’a guidé pour évaluer ma performance et ma compréhension d’une œuvre. »

 

Qu’entendez-vous par « comprendre » ?

 

« Laissez-moi vous donner un exemple. Dans la musique ancienne, vous trouvez des choses sur une partition que n’importe quel musicien confirmé pourrait jouer. Mais quand vous regardez les manuscrits et les traités de cette période, ils expliquent par exemple que lorsque vous avez deux notes dans une ligature, la deuxième note devrait être plus courte. Ce genre de “connaissance intime” oubliée dans la musique contemporaine offre une perspective sur l’éloquence et les cadences spécifiques de la musique ancienne. Ensuite, cela devient une nouvelle sensibilité, et il est toujours bon que quelqu’un vous guide à travers cette exploration. Ensuite, vous apprenez que la “précision”, telle qu’elle est comprise aujourd’hui, n’a pas forcément la même définition dans un contexte de musique ancienne. C’est une toute nouvelle approche, technique, mais aussi expérimentale ».

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Crédit photo : Erin McKinney

Comment êtes-vous arrivée en Italie ? Qu’y faites-vous  ?

 

« À l’origine, je suis venue parce que mon conjoint est italien. J’ai obtenu un visa étudiant qui m’a permis d’étudier à la Civica Scuola de Milan. Grâce à cette institution, j’ai pu tracer mon chemin sur la scène locale. Aujourd’hui, j’enseigne l’espagnol, l’anglais et la musique, en plus de jouer. Je me suis inscrite au conservatoire de Padoue où j’effectue un diplôme en éducation musicale. J’ai d’ailleurs dû renouer avec l’alto moderne, car je dois l’enseigner. »

 

L’enseignement a-t-il changé certaines perceptions que vous aviez de l’instrument ?

 

« En fait, c’est l’inverse : mon expérience en tant qu’interprète a changé ma perception de l’enseignement. Je manquais d’assurance quand j’enseignais au Costa Rica. Mais maintenant, avec l’expérience que j’ai acquise au fil des ans grâce à mes nombreux professeurs, interpréter autant le répertoire moderne et baroque m’a fait comprendre la diversité d’approche dans le jeu, l’enseignement et la pédagogie de l’alto. Je me sens plus libre, plus à l’écoute des besoins de mes élèves. Je n’impose pas une façon de faire, j’essaie plutôt de comprendre les possibilités de chaque élève, leurs qualités et leurs besoins. Il y a de la structure, mais aussi de l’exploration. Encore une fois, j’essaie de servir de médiateur entre les étudiants et leurs instruments. »

Revenons à l’idée de médiation… Est-ce pour cela que vous avez été attirée par Polymnie, la muse de la poésie sacrée, une médiatrice entre les humains et les divinités ?

 

« Oui, elle est vraiment la muse de l’éloquence - et pas seulement de la médiation, mais c’est une médiatrice! C’est quelque chose auquel j’aspire. Je pratique la méditation depuis un moment maintenant. C’est une façon pour moi de m’écouter, de comprendre mes propres désirs, ma voie, mes sentiments. Et l’éloquence est une autre de mes aspirations. »

 

Finalement, l’éloquence est le résultat de l’articulation; vous avez d’ailleurs déjà mentionné combien celle-ci est importante pour vous…

 

« Oui. Si l’on revient à l’idée de médiation, l’éloquence est un outil de persuasion. C’est une invitation à une communication significative (et, espérons-le pacifique), comme devrait s’efforcer de l’être la musique. »

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Crédit photo : Erin McKinney

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